"La Loi du temps" par Hiroshi Hirata
Hiroshi Hirata fait partie de ces figures emblématiques du manga historique. Spécialisé dans les récits de samouraï, il excelle dans ce domaine. Les Éditions Delcourt, via la société Akata, continuent de publier sporadiquement les œuvres du maître. Après deux numéros de son manga féministe " Plus forte que le sabre ", sort le volume unique de " La Loi du temps " : recueil de quatre nouvelles qui se focalisent sur la nature humaine et ses changements de comportement au fil de son apprentissage et de sa relation avec les autres.
De tous les auteurs de Gekiga publiés en France, Hirata a une place particulière. Premier auteur de manga à avoir été traduit en France, même si cela s’est fait de manière non officielle, il fut également un invité de marque du festival d’Angoulême en 2009. Ses histoires, dont le réalisme est renforcé par de nombreux emprunts historiques, se lisent comme un roman illustré a la manière d’un Edgar P. Jacobs, la science-fiction en moins. Le trait d’Hirata, sur ces quatre récits, est, comme à l’accoutumée, franc, réaliste et dynamique. Une réalité bien crue d’ailleurs, les combats sont à l’image de la vie dans cette contrée médiévale, brutale et courte. Il y a peu de fioritures, l’action est explicative, pas besoin de s’éterniser en palabres inutiles et déplacées, comme dans la plupart des shônens. C’est cette vision de la vie expliquée de manière juste et détaillée qui fait l’intérêt et le succès de ces récits. L’histoire semble vraie, comme sortie d’un manuel scolaire. Le lecteur, qu’il soit français ou même japonais, apprend énormément sur le mode de vie du Japon médiéval : sa politique, ses contraires, son impôt et ses mœurs bien différents d’aujourd’hui.
Pages 3 à 52 : " La Danse du vaste amour "
Ce récit commence par un combat à mort entre une jeune femme sûre d’elle et des assaillants entraînés au sein d’un Dojo réputé. La scène est expédiée en trois pages et pose le contexte de l’histoire, puis remonte dans le temps pour nous expliquer son geste. Ôsaki Riya a été recueilli à l’âge de deux ans par sa tante suite au meurtre de son père et au suicide de sa mère. À treize ans, elle entreprit de rechercher l’assassin de son père et de venger, ainsi, la mort de ses parents. L’histoire s’étendra sur de nombreuses années et Riya deviendra une femme forte et respectée. Mais elle traversa de nombreuses épreuves douloureuses et finit par se reconstruire avant de, finalement, retrouver l’assassin. Néanmoins, tout ne se passera pas comme elle l’avait imaginé.
Cette histoire introduit parfaitement la notion de temps dans l’œuvre d’Hirata. Les choses changent et on ne maitrise pas toujours sa vie : il faut en accepter les contraintes et surmonter les problèmes, en groupe, aide à se forger une identité et un caractère.
Pages 53 à 102 : " Il vivait des jours tranquilles … ou les huit vrais hommes du fief Yoshida, province de Iyo "
Tamagaki Jûzaemon, greffier au service d’un puissant seigneur local vivait une vie simple. Il ne parlait pas beaucoup, il exécutait les ordres donnés et consignait les faits dans les registres officiels qu’il tenait avec une extrême rigueur. Sa calligraphie parfaite forçait l’admiration de ses collègues de travail qui, pourtant, le trouvait austère. Sa seule passion : jouer aux Shôji avec sa femme. Yamada Chûzaemon, premier intendant, détournait l’argent des impôts pour son profit personnel. Il se fit bâtir une superbe demeure ou les servantes devenaient des objets de dépravation sans qu’elle puissent s’en plaindre.
L’histoire, étalée sur de nombreuses années, montre la corruption et les mœurs dissolues de cet intendant qui se comporte comme un tyran absolu. Elle montre également qu’un homme est capable, à lui tous seul, de renverser le cours de l’histoire ; mais c’est a vous de découvrir comment lire ce récit a la construction narrative passionnante.
Pages 103 à 152 : " La Brigade du Byakko-Taï ou un épisode inconnu de la guerre de Boshin "
Basé sur des faits historiques, cet épisode commence par le suicide rituel par seppuku de seize jeunes guerriers âgés de quinze à dix-sept ans, suite à la prise de leur château par l’ennemi. Inuma Sadakichi, rata sa mort et ce fut le grand malheur de sa vie. Alors que l’ère Meiji commençait, suite à la capitulation du fief Aïzu le 22 septembre 1868, le Japon sortait de sa période féodale. L’industrie et les télécommunications commençaient à arriver au Japon. La guerre avec les pays voisins redoublait et pourtant, Sadakichi, devenu ingénieur des télégraphes refusait toujours de porter une arme. Il s’estimait déjà mort, avec ses camarades, lorsqu’il n’avait que quinze ans.
Ce récit, plein de réalités crues sur le passage de l’ère féodale à l’ère industrielle montre, au travers de la vie de cet homme, que tout cela s’est fait dans la douleur, mais le cours de l’histoire et son avancée est inéluctable.
Pages 153 à 202 : " Kenzan "
Cette histoire, écrite comme un roman illustré, commence par la décapitation et l’éventration de paysans ayant commis des fautes minimes. À cette époque, un homme, Kenzan, faisait régner la terreur sur ses terres. Il interdisait aux paysans de s’amuser, de trop dormir et même de manger à leur faim. À la moindre contrariété, il décapitait les hommes qui lui tenaient tête, même s’ils faisaient partie de ses meilleurs soldats. Les paysans, craintifs, refusaient de se rebeller. Pourtant, un jour, alors qu’il s’était blessé en tombant dans la rivière, il fut recueilli par un paysan qui le soigna. Une fois remis de ses blessures, il lui expliqua, pendant de longues heures, ce qu’il endurait sans se plaindre, juste par des faits.
Ses doléances exprimées, il se trancha lui même la tête. Kenzan fini par repartir chez lui, guéri, et change quelque peut sa politique. Néanmoins, le seigneur propriétaire des terres ne l’entend pas exactement de cette oreille.
Ce récit clôture de manière pessimiste ce livre. Pourtant, au travers de ces différentes histoires, de ces vies d’hommes et de femmes, on peut voir le Japon évoluer, changer et se moderniser. Ce manga est atypique, il est destiné à un public très large et bien loin des clichés traditionnels. Il comblera l’amateur d’histoire japonaise tout comme celui des films de samouraïs, le lecteur de bande dessinée d’action comme le lecteur de manga traditionnel cherchant quelque chose de plus mâture.
Une œuvre incontournable et indispensable dans toute bonne bédéthèque.
Gwenaël JACQUET
" La Loi du temps " par Hiroshi Hirata Éditions Delcourt, volume unique (11 &euro
Article paru à l’origine sur BDZoom.com
De tous les auteurs de Gekiga publiés en France, Hirata a une place particulière. Premier auteur de manga à avoir été traduit en France, même si cela s’est fait de manière non officielle, il fut également un invité de marque du festival d’Angoulême en 2009. Ses histoires, dont le réalisme est renforcé par de nombreux emprunts historiques, se lisent comme un roman illustré a la manière d’un Edgar P. Jacobs, la science-fiction en moins. Le trait d’Hirata, sur ces quatre récits, est, comme à l’accoutumée, franc, réaliste et dynamique. Une réalité bien crue d’ailleurs, les combats sont à l’image de la vie dans cette contrée médiévale, brutale et courte. Il y a peu de fioritures, l’action est explicative, pas besoin de s’éterniser en palabres inutiles et déplacées, comme dans la plupart des shônens. C’est cette vision de la vie expliquée de manière juste et détaillée qui fait l’intérêt et le succès de ces récits. L’histoire semble vraie, comme sortie d’un manuel scolaire. Le lecteur, qu’il soit français ou même japonais, apprend énormément sur le mode de vie du Japon médiéval : sa politique, ses contraires, son impôt et ses mœurs bien différents d’aujourd’hui.
Pages 3 à 52 : " La Danse du vaste amour "
Ce récit commence par un combat à mort entre une jeune femme sûre d’elle et des assaillants entraînés au sein d’un Dojo réputé. La scène est expédiée en trois pages et pose le contexte de l’histoire, puis remonte dans le temps pour nous expliquer son geste. Ôsaki Riya a été recueilli à l’âge de deux ans par sa tante suite au meurtre de son père et au suicide de sa mère. À treize ans, elle entreprit de rechercher l’assassin de son père et de venger, ainsi, la mort de ses parents. L’histoire s’étendra sur de nombreuses années et Riya deviendra une femme forte et respectée. Mais elle traversa de nombreuses épreuves douloureuses et finit par se reconstruire avant de, finalement, retrouver l’assassin. Néanmoins, tout ne se passera pas comme elle l’avait imaginé.
Cette histoire introduit parfaitement la notion de temps dans l’œuvre d’Hirata. Les choses changent et on ne maitrise pas toujours sa vie : il faut en accepter les contraintes et surmonter les problèmes, en groupe, aide à se forger une identité et un caractère.
Pages 53 à 102 : " Il vivait des jours tranquilles … ou les huit vrais hommes du fief Yoshida, province de Iyo "
Tamagaki Jûzaemon, greffier au service d’un puissant seigneur local vivait une vie simple. Il ne parlait pas beaucoup, il exécutait les ordres donnés et consignait les faits dans les registres officiels qu’il tenait avec une extrême rigueur. Sa calligraphie parfaite forçait l’admiration de ses collègues de travail qui, pourtant, le trouvait austère. Sa seule passion : jouer aux Shôji avec sa femme. Yamada Chûzaemon, premier intendant, détournait l’argent des impôts pour son profit personnel. Il se fit bâtir une superbe demeure ou les servantes devenaient des objets de dépravation sans qu’elle puissent s’en plaindre.
L’histoire, étalée sur de nombreuses années, montre la corruption et les mœurs dissolues de cet intendant qui se comporte comme un tyran absolu. Elle montre également qu’un homme est capable, à lui tous seul, de renverser le cours de l’histoire ; mais c’est a vous de découvrir comment lire ce récit a la construction narrative passionnante.
Pages 103 à 152 : " La Brigade du Byakko-Taï ou un épisode inconnu de la guerre de Boshin "
Basé sur des faits historiques, cet épisode commence par le suicide rituel par seppuku de seize jeunes guerriers âgés de quinze à dix-sept ans, suite à la prise de leur château par l’ennemi. Inuma Sadakichi, rata sa mort et ce fut le grand malheur de sa vie. Alors que l’ère Meiji commençait, suite à la capitulation du fief Aïzu le 22 septembre 1868, le Japon sortait de sa période féodale. L’industrie et les télécommunications commençaient à arriver au Japon. La guerre avec les pays voisins redoublait et pourtant, Sadakichi, devenu ingénieur des télégraphes refusait toujours de porter une arme. Il s’estimait déjà mort, avec ses camarades, lorsqu’il n’avait que quinze ans.
Ce récit, plein de réalités crues sur le passage de l’ère féodale à l’ère industrielle montre, au travers de la vie de cet homme, que tout cela s’est fait dans la douleur, mais le cours de l’histoire et son avancée est inéluctable.
Pages 153 à 202 : " Kenzan "
Cette histoire, écrite comme un roman illustré, commence par la décapitation et l’éventration de paysans ayant commis des fautes minimes. À cette époque, un homme, Kenzan, faisait régner la terreur sur ses terres. Il interdisait aux paysans de s’amuser, de trop dormir et même de manger à leur faim. À la moindre contrariété, il décapitait les hommes qui lui tenaient tête, même s’ils faisaient partie de ses meilleurs soldats. Les paysans, craintifs, refusaient de se rebeller. Pourtant, un jour, alors qu’il s’était blessé en tombant dans la rivière, il fut recueilli par un paysan qui le soigna. Une fois remis de ses blessures, il lui expliqua, pendant de longues heures, ce qu’il endurait sans se plaindre, juste par des faits.
Ses doléances exprimées, il se trancha lui même la tête. Kenzan fini par repartir chez lui, guéri, et change quelque peut sa politique. Néanmoins, le seigneur propriétaire des terres ne l’entend pas exactement de cette oreille.
Ce récit clôture de manière pessimiste ce livre. Pourtant, au travers de ces différentes histoires, de ces vies d’hommes et de femmes, on peut voir le Japon évoluer, changer et se moderniser. Ce manga est atypique, il est destiné à un public très large et bien loin des clichés traditionnels. Il comblera l’amateur d’histoire japonaise tout comme celui des films de samouraïs, le lecteur de bande dessinée d’action comme le lecteur de manga traditionnel cherchant quelque chose de plus mâture.
Une œuvre incontournable et indispensable dans toute bonne bédéthèque.
Gwenaël JACQUET
" La Loi du temps " par Hiroshi Hirata Éditions Delcourt, volume unique (11 &euro
Article paru à l’origine sur BDZoom.com