« Hanjuku Joshi » T1 par Akiko Morishima

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La semaine dernière, sur BD Zoom, nous vous expliquions le jeu de mots du titre « Lily la menteuse » et sa lecture proche du terme Yuri, représentant l’amour lesbien. Yuri, c’est aussi le nom d’une collection, bien nommée, chez l’éditeur Taïfu. Second titre publié sur le thème de l’amour entre femmes, « Hanjuku Joshi » fait suite à la série en 5 volumes « Girl Friends » de Milk Morinaga.
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Yae est une jeune fille mal dans sa peau. Elle ne s’accepte pas comme elle est et ses changements morphologiques la dérangent. Elle vient d’intégrer une nouvelle école n’accueillant que des jeunes filles. Là, elle se sent plus à l’aise, sauf face à Chitose Hayami qui lui semble bien trop libérée. Pourtant, les contraires s’attirent souvent ; en plus, Chitose voit en Yae la copie conforme de son premier amour. Entreprenante, elle va forcer sa camarade à affirmer sa féminité en mettant plus en valeur sa poitrine opulente et son côté mignon, avec son visage tout en rondeur et sa voix fluette. Elle va l’aider à s’affirmer et ne plus cacher sa vraie nature.
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Voici le premier manga d’Akiko Morishima publié en France. Pourtant, cette auteure à succès est extrêmement prolifique au Japon. Elle travaille pour Yuri Hime, le plus connu des magazines de lesbiennes, mais elle a également œuvré pour des shôjo manga classiques. Dans sa jeunesse, elle ne pensait absolument pas s’orienter vers la création de bandes dessinées. Son rêve était d’être une employée de bureau typique avec une petite vie tranquille et un salaire régulier. Entre temps, elle a étudié le design architectural, sans jamais imaginer avoir le talent suffisant pour devenir mangaka professionnel. Pourtant, son premier travail a été pour le magazine lesbien
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Anise, pour lequel elle a réalisé des YonKoma (1). Après l’arrêt du magazine, elle a continué ses strips sur internet avant d’être reprise dans diverses publications. Née en 1973, elle s’est mise à écrire des mangas lesbiens après avoir constaté que ce genre était peu présent dans sa jeunesse. De rencontre en rencontre, elle envisagea d’en faire sérieusement son métier. Sortant du cadre du fanzinat, elle s’y mettra à fond : car dessiner des mangas de qualité nécessite une grande volonté et un travail contant. En général, elle peut scénariser et dessiner une trentaine de pages par mois. Avec l’aide d’assistants, cela monte à peu près à 50 pages. Son dessin est extrêmement détaillé et soigné ; c’est pourquoi elle n’écrit que pour les magazines mensuels et non pour les revues hebdomadaires.
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Dans son atelier, elle a généralement deux assistantes pour l’aider. Une planche commence par la mise en page et le placement succinct des éléments en crayonné. Puis les assistantes tracent le cadre, finalisent les décors et elle dessine tout le reste, notamment chaque personnage, entièrement. Ensuite, elle redonne ses planches aux assistants qui réalisent les finitions pour qu’ensuite elle peaufine, elle même, le dessin en ajoutant les trames ; ce qui est rare chez les dessinateurs professionnels organisés en studio. En effet, c’est généralement une tâche confiée aux petites mains.
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Beaucoup de manga homos ou lesbiens sont réalisés par des auteurs hétéros voir du sexe opposé au public concerné. Est-ce parce que Akiko Morishima est elle-même lesbienne qu’elle sait mieux que quiconque et de manière plus crédible, représenter un amour fusionnel entre deux femmes ? Peut-être qu’en effet c’est un début de réponse, pourtant, son manga est rempli de stéréotypes. D’un côté, on a la jeune fille nubile blonde découvrant son corps sans l’accepter réellement et d’un autre, une fille plus affirmée et quelque peu entreprenante, aux cheveux courts et foncés, véritable garçon manqué. Pourtant, si ces clichés sont bien réels, « Hanjuku Joshi » adopte un traitement de l’histoire où les scènes de sexe ne relèvent pas du voyeurisme et les passages de la vie quotidienne servent réellement l’histoire. On est à mi-chemin entre un titre érotique et un simple manga Moé (2) servant à émoustiller les jeunes adolescents. Avant d’arriver sur les rares scènes explicites, mais non vulgaires de ce manga, un cheminement en guise de préliminaire raconte une vraie histoire d’amitié, de découverte et d’acceptation de soi. Si le sujet principal reste focalisé sur les deux héroïnes, Yae la blonde et Chitose la brune, une romance entre Edogawa, la jeune professeur(e) et Hanashima l’allumeuse, s’ajoute au fil des pages. Pourtant, rien ne prédestinait ces deux personnages secondaires à s’intéresser l’un à l’autre, surtout Hanashima qui revendique son hétérosexualité et son pouvoir de séduction servant à manipuler le sexe masculin. Edogawa, pour sa part, n’a jamais réussi à trouver le bonheur en compagnie des hommes et c’est pourquoi Hanashima usera de ses charmes sur elle, dans un jeu qui les dépasse toutes les deux. Cette histoire dans l’histoire permet de mieux cerner les divers protagonistes et offre un récit plus dense, tout en étant plus fluide également.
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« Hanjuku Joshi » n’est ni un hymne gay, ni un manga renfermant un message revendicatif quelconque. Tout en douceur, c’est une ouverture vers l’acceptation de soi, de son corps, de ses sentiments et de la recherche d’un épanouissement sans tabou. Le titre « Hanjuku Joshi » n’a pas été traduit en français, sa compréhension est en effet assez difficile. Hanjuku étant un terme de cuisine indiquant quelque chose de mi-cuit comme un œuf mollet. Joshi symbolisant les filles, on peut aisément comprendre le sujet de ce manga : des jeunes filles n’étant pas encore pleinement épanouies sexuellement et n’ayant généralement pas franchi la pas d’une relation hétérosexuelle. Tout un programme, une fois expliqué comme ça…

Gwenaël JACQUET
« Hanjuku Joshi » T1 par Akiko Morishima Édition Taiïu (7,99 €) – ISBN : 9782351806128

(1) Yon Koma ou 4 koma : histoires en quatre cases disposées verticalement et souvent humoristiques. Déroutant pour un Occidental, le déroulement répondant toujours aux mêmes règles narratives comme expliquées dans l’article sur le manga « K-On ».

(2) Moé : courant du manga mettant en scène des jeunes filles souvent dans des poses équivoques et en total décalage avec leur âge supposé. Le terme Moé vient du japonais et signifie qu’une plante vient de germer et est en train de grandir.
Hanjuku Joshi volume 1 © AKIKO MORISHIMA 2008

Adieu, Jeffrey Catherine Jones…

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Cette semaine, une chronique un peu spéciale puisque je vais rendre hommage à un(e) très grand(e) artiste qui vient de nous quitter ce jeudi 19 mai 2011 : Jeffrey Catherine Jones.
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Même si ce n’est pas politiquement correct, on ne peut nier que certaines morts nous touchent plus que d’autres. J’essaye de ne pas trop faire de nécrologie dans cette chronique, car Death continue ardemment son dur labeur, nous dit Gaiman. En quelques mois, nous avons perdu l’immense Al Williamson, l’insolite Harvey Pekar, sans parler de la mort très prématurée de Dwayne McDuffie, il y a peu. Mais je dois avouer que l’annonce du décès de Jeffrey Catherine Jones m’a profondément heurté, engendrant en moi une tristesse bien plus prégnante qu’à l’accoutumée (mais s’accoutume-t-on jamais à ça ?). Jeffrey Catherine Jones était en effet une personnalité incroyable, et un(e) artiste extraordinaire, au charisme proche d’un Vaughn Bodé. Il est toujours facile de dire ça après, mais je le pense depuis des décennies : Jones était un génie. Son art est l’un des plus beaux témoignages de la culture américaine du 20ème siècle. Mais comme je ne suis que moi et que vous pourriez relativiser mon petit avis, sachez que Frank Frazetta lui-même considérait Jones comme « le plus grand peintre vivant » de son temps.
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Jeffrey Durwood Jones est né le 10 janvier 1944 à Atlanta, en Georgie. Du plus loin qu’il se souvienne, il a toujours secrètement ressenti cette évidence en lui : Jeffrey se sent plus femme qu’homme. Mais dans le sud des États-Unis, en ces années 50 plus que contrastées, il ne faisait pas bon d’exprimer ce genre de sentiment. Jeffrey cacha donc sa féminité aux yeux du monde… Il arborera même bouc et moustache à un moment, et épousera Mary Louise Alexander en 1966 (qui deviendra plus tard Mme Louise Simonson). Mary et Jeffrey ont une fille, Julianna, mais leur couple périclitera au début des années 70. Jones réalise depuis déjà quelque temps des couvertures de romans SF, et se tourne vers la bande dessinée. Il sera très vite nominé à de nombreux Prix, ne recevant le World Fantasy Award du meilleur artiste qu’en 1986. De 1972 à 1975 il entamera dans le National Lampoon une bande dessinée qui deviendra mythique : « Idyl ».
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Idyl est une jeune femme enceinte qui explore nonchalamment un monde de végétations luxuriantes quelque peu abstrait, parlant aux animaux, végétaux et êtres étranges qu’elle rencontre sur son chemin. En une planche, Jones nous offre une petite scène théâtrale à la fois cocasse, tendre, étrange, drôle, inquiétante, absurde, engendrant en nous des sentiments profonds mais diffus. Idyl, l’air de rien, se pose beaucoup de questions. Et si elle n’a pas de quête précise, elle ne cesse de chercher à se comprendre dans les rencontres successives qu’elle fait. Ce questionnement sur la vie d’une femme enceinte est une expression forte de ce que vit Jones intérieurement. Et c’est aussi – esthétiquement, narrativement – un pur chef-d’œuvre dont je vous propose ci-dessous quelques superbes planches :
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Dire que l’art de Jones est sublime est un pléonasme. Ce qui frappe, chez lui/elle, c’est avant tout le trait. Un trait souple, voluptueux, gracile et puissant à la fois. Un trait magnifique, unique. Oui, unique ; je pèse mes mots. Je suis littéralement fasciné par le trait de Jones, la manière qu’il/elle a d’inscrire une courbe dans l’espace, et cette volupté folle folle folle qui se dégage de ses dessins de femmes. Rarement la beauté du corps féminin aura été aussi sublimement représentée que dans les œuvres de Jones. L’essence même de son trait insuffle une sensualité à nulle autre pareille, profonde, charnelle, hypnotique. Ajoutons à cela un sens de la narration et de l’architecture de la planche qui laisse rêveur, Jones s’avérant redoutable sur la composition dans l’espace, les équilibres entre les noirs et les blancs – toujours parfaits. Jones est aussi un maître du contraste, qu’il n’hésite pas à expérimenter jusqu’à certains paroxysmes. Chaque planche de Jones est une pure merveille, comme vous pouvez le constater dans les deux exemples ci-dessous :
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Entre 1975 et 1979, Jones loue un atelier dans le quartier de Chelsea à Manhattan avec trois autres dessinateurs pour fonder The Studio. Le quatuor comprend Michael William Kaluta, Jeffrey Jones, Bernie Wrightson, Barry Windsor-Smith (ci-dessous en photo dans l’ordre précité, de gauche à droite, vers 1978) ! Rien que ça !
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L’émulation entre ces artistes promus à de grandes carrières vient de leur goût commun pour l’appropriation et la réinvention de mouvements artistiques classiques. Jones est particulièrement influencé par les peintres préraphaélites, on l’a souvent dit, mais on parle moins de ses ramifications avec l’impressionnisme, la Renaissance, l’expressionnisme… qui pourtant transparaissent çà et là. Et si Jones réalisera d’autres bandes dessinées, comme « I’m Age » pour Heavy Metal au début des années 80, c’est vers la peinture que va désormais se porter toute son attention. Après avoir brillamment démontré son art du noir et blanc, Jones sidère par la beauté de ses peintures, leurs qualités chromatiques, de composition, d’ambiance… Magnifique artiste. Le thème de la féminité y est prépondérant, Jones ne cessant d’être dans l’ode à la femme. Dans la peinture ci-dessous, il s’est peint aux côtés de la femme qu’il est.
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Est-ce à cause de cette problématique intime sur son identité sexuelle que Jones abuse de substances illicites ? Sûrement… Il sent qu’il ne peut continuer ainsi. En 1998, il franchit un pas afin de devenir ce qu’il se sent être : une femme. Il entame alors une thérapie à base de remplacement d’hormones, se rapprochant enfin d’elle. Mais la croyance selon laquelle il serait devenue femme grâce à une opération chirurgicale serait fausse, car comme le rapporte notre confrère Jacques Dutrey, Arnie Fenner dément formellement ces informations: selon cet ami et éditeur de Jones, Jeffrey n’aurait jamais subi d’opération lui faisant changer de sexe, et n’a pas effectué de démarche auprès de l’état-civil pour devenir légalement Catherine. Quoi qu’il en soit, le monde devra désormais appeler l’artiste « Jeffrey Catherine Jones ». Malheureusement, Jones va plonger dans une profonde dépression qui aura de graves conséquences, puisqu’elle va jusqu’à perdre son appartement et son atelier. Il faudra attendre 2004 pour qu’elle se reprenne et recommence à créer. Malheureusement, en France, Jones a été très peu éditée, à part deux fois dans les années 70 chez Futuropolis et Triton. À quand une nouvelle édition sérieuse et relativement complète de cette artiste géniale ?!?
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Destin tragique et profondément émouvant que celui de Jeffrey Catherine Jones… Âgée de seulement 67 ans, elle s’est éteinte ce jeudi 19 mai à 4h00 du matin, très affaiblie par un terrible emphysème et des bronchites à répétition. Le monde des comics vient de perdre l’une de ses plus grandes artistes. Une grande artiste, mais aussi une grande poétesse. Nous pensons tous à elle et ne doutons pas qu’elle vole quelque part dans des cieux abstraits mais radieux. Adieu, Catherine. On t’aime.
Kiss

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Cecil McKINLEY

« Anedoki » T1 par Mizuki Kawashita

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La créatrice d’« Ichigo 100% » et d’« Hatsukoi Limited » revient avec un nouveau manga. Enfin, nouveau dans le sens où c’est le dernier paru en France. Le sujet, lui, est plus qu’éculé. Au programme, petites culottes, décolletés plongeants, midinettes et un petit coté pervers destiné a émoustillé la gente masculine. On est en terrain connu…

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Sur le chemin de l’école, Kouta Ochiai croise une étrange jeune fille. Alors qu’il matait ce « canon », un coup de vent inattendu dévoile sa culotte. Comme il fait une chaleur étouffante, elle l’oblige à partager sa glace. Tout de suite, Kouta imagine que cette fille vient de lui faire un baisé indirect, en trempant ses lèvres ;  juste là où il avait léché ce cornet de glace. La jeune fille, comprenant tout de suite ses pensées, le traite de pervers. Honteux de s’être fait prendre, il s’enfuit en échappant son carnet d’élève. Contrairement à Cendrillon, ce n’est pas le prince, mais la bimbo qui se servira de cet indice pour retrouver le jeune homme. En fin de journée, après avoir fini ses cours, Kouta la retrouve devant chez lui, alors que son père part précipitamment à l’autre bout du Japon pour un soi-disant rendez-vous d’affaires. Ne pouvant laisser seule ce jeune homme de 13 ans, Natsuki Hagiwara, 17 ans, décide de devenir sa servante.
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C’est avec cette situation des plus loufoques que l’histoire d’« Anedoki » débute. Ce scénario est digne des pires pornos disponibles sur le marché. Qui pourrait croire qu’une jeune fille de 17 ans, sortie d’on ne sait où, puisse venir habiter chez un enfant de 13 ans, afin de lui préparer ses repas, faire sa lessive et bien plus encore. Qui plus est, elle n’hésite pas à se promener en petite tenue, se propose de prendre un bain avec lui, se faufile dans sa chambre à la nuit tombée, etc. Complètement surréaliste.
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Vu les autres mangas de Mizuki Kawashita, rien de bien étonnant. Le sujet principal étant toujours les culottes que portent les jeunes filles. Voir leur absence de culottes dans certains chapitres d’« Hatsukoi Limited ». Pourtant, il y avait un semblant d’histoire porté par l’exagération des sentiments amoureux des adolescents. Avec « Anedoki », la mangaka n’y va pas par quatre chemins. Cette fille est une bombe sexuelle et le jeune homme sur lequel elle a jeté son dévolu est un pervers, caché dans un corps d’enfant. Le fil conducteur de l’histoire n’est qu’un prétexte pour mettre en scène des situations plus ou moins embarrassantes, à la limite de la pédophilie.
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La pauvreté du scénario a obligé l’éditeur japonais à arrêter la série très rapidement. C’est pourquoi elle ne fait que trois volumes, soit 26 chapitres plus deux bonus, et un épilogue de quatre pages se déroulant quatre ans plus tard, lorsque Kouta a atteint l’âge de Mizuki lors de leur première rencontre.
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Je viens de vous dresser un tableau bien noir concernant ce manga. Pourtant, il faut lui reconnaître de grandes qualités. Si le scénario est simpliste, il permet de vite comprendre la position de chacun des protagonistes : la construction narrative étant faite pour accrocher immédiatement le lecteur. Pas besoin de s’embêter avec des non-dits ou des propos compliqués. Ici, tout est simple, facile à suivre et extrêmement clair en ce qui concerne les intentions des personnages. Pourtant, certaines zones d’ombres existent, cela pimente un poil le récit. Ce premier volume n’est qu’une mise en bouche, l’intrigue progresse plus rapidement par la suite. Il est clair que si l’on se fit à ce manga, tous les humains ne sont que des pervers frustrés.
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Question graphisme, Mizuki Kawashita est au sommet de son art. Ses dessins sont toujours aussi beaux, les courbes de ses jeûnes filles sont particulièrement avenantes. Ses culottes en dentelle toujours très détaillées. Ses jupes bien plus courtes que ce que les tenues officielles d’écolières préconisent. Bref, c’est un régal pour les yeux, si l’on a moins de 20 ans.
« Anedoki » comme le reste de la bibliographie de Mizuki Kawashita, est dans la lignée du courant « moé » que l’on observe depuis des dizaines d’années. Ce sont des produits de divertissement, manga, animé ou jeux vidéo mettant en scène des jeunes filles encore enfants, mais laissant entrevoir des atouts physiques ou sentimentaux généralement réservés a des personnages plus adultes. C’est cette ambiguïté, entre deux âges, qui a aussi fait le succès de certains animés japonais. Il y a un public pour ça, autant leur servir, sans détour, ce qu’ils attendent.
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« Anedoki » est clairement réservé à un public peu regardant sur la complexité du scénario et plutôt attiré par des dessins alléchants et par l’omniprésence du Fan service. Après l’arrêt de cette série, Mizuki Kawashita s’est tout de suite remise au travail. Elle a quitté le rythme trépidant du magazine Jump pour celui, moins contraignant, de son homologue mensuel SQuare 19, réservé a un public adulte. Elle en profite pour écrire une histoire avec un zeste de fantastique  « G-Maru » : un robot venant du futur rend visite à Aruto, une jeune fille désirant devenir dessinatrice de manga shôjo. le robot lui confira être fan de son travail du temps ou il était humain. Au final elle produira des mangas érotiques puisque le robot, croyant bien faire, a remis son dernier manuscrit à un grand éditeur. Sauf qu’il s’est trompé puisque c’est un éditeur d’œuvres cochonnes. Voilà comme la jeune et jolie Aruto va commencer sa carrière de mangaka. Pour le moment, seule une dizaine de chapitres sont parus. Je pense que les fans seront au rendez-vous pour suivre ce genre d’histoire plus aboutie, mais gardant un côté totalement loufoque et bien évidemment de nombreuses scènes osées.

Gwenaël JACQUET

« Anedoki » T1 par Mizuki Kawashita Éditions Tonkam (6,99 €) – ISBN : 978-2-7595-0774-0

ANEDOKI © 2009 by Mizuki Kawashita/SHUEISHA Inc.

« Slave Girl Comics »

Nos amis d'Univers Comics Unlimited continuent de publier des perles qui ne peuvent que ravir les fans, une initiative menée par la passion et qu'il convient plus que jamais de soutenir et d'encourager !
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« Slave Girl Comics »
Commençons avec ce fascicule épatant qui inaugure les hors-séries de la collection « Golden Comics ». Vous le savez si vous êtes des fidèles de cette chronique, Jean Depelley et Fred Treglia publient depuis quelque temps des collections de fascicules reprenant des séries de l'Âge d'Or des comics. Des épisodes inédits en France, malheureusement oubliés, que nos compères exhument avec un plaisir non dissimulé pour nous faire redécouvrir tout un pan de la production américaine d'une certaine époque… Ce hors-série est un magnifique exemple de ce travail éditorial à dimension patrimoniale, nous proposant « Malu, the Slave Girl » d'Howard Larsen, une série qui fut de courte durée à cause de la censure qui frappa les comics dans les années 50 sous l'influence du « bon docteur Wertham ». Et « Malu » avait tout pour se faire censurer ! Héroïne sensuelle et lascive, sous-entendus sado-maso, tension sexuelle sous-jacente, combats meurtriers, j'en passe et des meilleurs… Une double lecture qui avec le recul prend d'autant plus de saveur aujourd'hui et que vous apprécierez j'en suis sûr à sa juste valeur !
Sandra Worth et Goeffrey Garth invoquent le pouvoir de l'ancien sceau d'Ormuz qui leur révèle un passé lointain où Malu, la belle esclave, affronte moult danger en compagnie de son protecteur, le valeureux et quelque peu psychorigide Garth. Le couple antique tentera de rejoindre la cité d'Ormuz où Malu espère retrouver son père et échapper à sa condition d'esclave. Le contexte rappelle les aventures exotiques, aventurières et parfois fantastiques de l'époque, entre un Orient fantasmé et la quête héroïque, avec pour atout la sublime plastique de Malu, inscrivant aussi la série dans le Good Girl Art. Malu, sorte de Rita Hayworth ayant tourné nunuche, avec sa coupe de cheveux hollywoodienne et ses tenues légères des Mille et une nuits, se laisse trimballer au gré des chevauchées et des emprisonnements par le plus offrant tout en rechignant – mais pas tant que ça : « Mon Dieu, c'est horrible ! (Oh oui, oui, continuez !) ». Il est intéressant de constater combien Malu, envieuse d'échapper à son statut d'esclave, semble néanmoins ne pas vouloir être autre chose qu'une femme définitivement soumise, puisqu'elle ne cesse de dire à Garth que désormais elle veut être son esclave à lui, amoureusement et sexuellement. Le style de Larsen, à la fois souple, réaliste et naïf, exprime au mieux toutes les nuances du propos et nous offre des images dont la patine ravira tous les esthètes. Bref, « Malu, the Slave Girl » est une petite pépite que je vous conseille plus que vivement de lire, en espérant qu'Univers Comics Unlimited continue ce travail passionnant et nous fasse encore découvrir d'autres merveilles oubliées… Pour le commander, rendez-vous sur le site : http://fredcomics.over-blog.com
Cecil McKINLEY
Strange n°5 extra Éditions Organic Comix (6,00€)
« Slave Girl Comics » Éditions Univers Comics Unlimited (10,00€)

«Comédie sentimentale pornographique»

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Figure de proue du récit intimiste en bande dessinée, et même d’une certaine édition alternative, au Québec, le Montréalais Jimmy Beaulieu a longtemps été directeur de collection pour la petite maison d’édition Mécanique Générale, libraire, chroniqueur pour Radio-Canada, commissaire d’exposition, conférencier, traducteur, animateur d’ateliers, éditeur (sa propre maison, Colosse, propose des tirages confidentiels) et est aussi, depuis le début des années 2000, un auteur parcimonieux représentatif de la nouvelle BD made in « Belle Province » !

Mais il lui arrive aussi de travailler sur des séries plus « grand public » en donnant, par exemple, un coup de main pour l’adaptation, en bon québécois, des dialogues du « Magasin général » de Tripp et Loisel.
Après quelques ouvrages remarqués comme « Ma voisine en maillot » (chez Mécanique Générale, en 2006) ou le récent et également très réussi « À la faveur de la nuit » (aux Impressions nouvelles, en septembre 2010), voici un nouveau roman graphique un peu plus ambitieux qui nous démontre que Jimmy a, enfin, décidé de privilégier sa pratique d’auteur.
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Dans sa langue colorée et chaleureuse, il nous raconte les interrogations existentielles et les émois amoureux de quelques jeunes trentenaires Montréalais. Développant la légèreté et la sensualité de son trait (qui fait un peu penser au graphisme d’Étienne Davodeau), ainsi que la fluidité de sa narration, l’auteur propose une suite d’anecdotes assez oniriques qui séduisent immédiatement le lecteur : mettant en scène un couple dont le mâle, en pleine crise existentielle, accepte difficilement l’amour libre et bisexuel prôné par sa compagne, une ex de cette dernière qui drague dans les bars lesbiens de Québec et un écrivain qui soigne ses chagrins d’amour en se lançant dans l’écriture pornographique…
Même si l’auteur se défend de faire de l’autobiographie, toutes ses œuvrettes fictives sentent le vécu, et celle-là ne déroge pas à la règle ! On ne peut que vous conseiller ces ballades aussi joyeuses qu’inquiètes qui vont lui permettre de dessiner des chorégraphies à base de fantasmes, de musique et de sexe…, le tout avec un propos qui n’est absolument pas prétentieux mais, bien au contraire, rempli d’amour et de fraternité : voilà qui nous réconcilie avec une certaine forme de bande dessinée alternative un peu trop franco-française !

Gilles RATIER

«Comédie sentimentale pornographique» par Jimmy Beaulieu
Éditions Delcourt (22,50 €)

« Les Melons de la colère » par Bastien Vivés

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Bastien Vivès, toujours en lice pour le Grand Prix de la Critique ACBD 2012 avec « Polina », est connu pour dépeindre des situations intimistes voire même sensuelles à certains égards. Ses personnages ont toujours de la profondeur et son discours, même s’il prend du temps à se mettre en place, n’est jamais basé sur des situations superflues. Du coup, on ne l’attendait pas dans la collection « BD Q » des Requins marteaux. Et encore moins avec un titre au jeu de mots potache : « Les Melons de la colère ».

En fait de BD de cul, cet album ne dévoile pas grand-chose. Certaines situations sont pourtant particulièrement explicites, mais cela ne tombe jamais dans la démonstration visuelle vulgaire et crue. « Les Melons de la colère » est plus un album humoristique pour adulte qu’un défouloir pour obsédé sexuel.
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Magalie vie à la campagne avec ses parents et son petit frère Paul. Cette famille est totalement coupée du monde : pas de télévision, pas d’Internet, pas de téléphone. Si le travail dans le champ ou l’élevage des vaches ne leur fait pas peur, Magalie a un gros problème : ses seins démesurés qui lui tirent sur la colonne vertébrale et la font souffrir. Ils sont encore plus gros que ceux de Charlotte dans Elle(s), « Le » titre qui a fait découvrir le talent de Bastien Vivès. Elle demande depuis des années à voir un médecin pour corriger cette « erreur de la nature ». Son père est contre : ce sont tous des charlatans qui viennent de la ville. Pourtant, il finit par céder. Le premier praticien, vétérinaire de son état, l’examine ; et son diagnostic ne peut se faire sans consulter un spécialiste. Lui-même demandant à ce qu’elle soit auscultée par un groupe d’expert en ville qui prendra, bien sûr, à sa charge, le transport et la consultation. En fait, ce sont tous les notables de la région qui vont lui passer dessus profitant de sa naïveté. Quand elle essaie d’expliquer ces pratiques étranges à son père, il se met à tourner cela à la dérision jusqu’au jour ou il va finalement comprendre que sa fille est utilisée comme objet sexuel. Sa vengeance en sera terrible.
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Dans cet album, le trait de Bastien Vivès est encore plus dépouillé que d’habitude. Minimaliste, il suggère l’essentiel sans tomber dans le grivois à outrance. Les mouvements sont parfaitement décrits, aucun trait n’est placé au hasard. Par exemple, les yeux, expression de l’âme, ne sont jamais dessinés, sauf sur quelques cases où ils sont d’une importance capitale pour l’expression du personnage. Soit ils sont écarquillés d’étonnement ou de surprise, soit fermés pour montrer le sérieux de la situation. Les scènes de sexe sont très courtes et arrivent après une introduction souvent bien amusante. Au fur et à mesure que le lecteur comprend ce qui se passe, il découvre le peu de morale de ces soi-disant médecins. La conclusion, violente, ne se fait pas attendre : le père va venger sa fille. D’abord maladroitement, en espérant diffuser des photos compromettantes des notables en action. Et enfin de manière radicale que je vous laisse découvrir. Cette conclusion est, comme tout le reste, suggérée. Elle n’est ici expliquée que par des mots choisis offrant au lecteur le soin d’imaginer la scène qu’il est capable de voir et surtout de supporter. Le tout de manière décalée et humoristique, sur plus de 130 pages.
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Un vrai tour de force amusant, divertissant, simple et avec une vraie histoire à la fois gentille et plus torturée que ce que l’on attend de ce genre de littérature. À mettre entre toutes les mains des fans de Bastien Vivès et de tout adulte consentant.
 
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Gwenaël JACQUET
« Les Melons de la colère » par Bastien Vivés
Édition Les Requins Marteaux (12 €) – ISBN : 978-2-84961-114-2


Illustrations : © 2011 Bastien Vivès – Les Requins Marteaux

« Liz & Beth » et Bédéadult’

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Liz et Beth sont deux belles bourgeoises dévergondées, nées de l’imagination de Jean Sidobre, dessinateur qui se cachait sous le pseudonyme de G. Lévis, lequel se transformera très vite en Georges Lévis. En rajoutant la signature d’un scénariste fantôme (lui-même) nommé « de Monage », le calembour -à lire à haute voix- se trouvait ainsi fort adéquatement renforcé.
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Or, tout récemment, les éditions Delcourt ont eu la bonne idée de compiler, dans leur très intéressante collection « Érotix », l’intégralité des chaudes aventures de Liz, une blonde divorcée qui multiplie les rencontres sexuelles, et de Beth, une brune mariée à un riche médecin qui apprécie également les divertissements extra-conjugaux : les deux jeunes femmes se racontant leurs péripéties amoureuses et partageant leurs fantasmes, seules ou en compagnie d’amants inventifs ; le tout avec beaucoup d’humour à prendre au second degré, même si les situations et les jeux de mots s’adressent, évidemment, à un lectorat populaire.
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Bien mieux imprimée que les précédentes compilations en albums
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, cette intégrale -de petit format, ce qui ne rend pas toujours justice au trait élégant de Sidobre- nous offre aussi une préface documentée, due au journaliste Romain Brethes ; introduction qui, pourtant, souffre d’un manque d’illustrations qui auraient pu, encore mieux, étayer son propos : en reprenant, par exemple, les couvertures couleurs de Bédéadult‘ que nous vous montrons dans cet article. Tout en évitant de trop paraphraser ce travail de bonne facture en quatre pages, nous allons le compléter en survolant, le plus précisément possible, la carrière de G. Lévis(1) et en nous concentrant sur les revues qui accueillirent les variations charnelles et troublantes de notre duo de charme !
Né à Toulouse, le 7 août 1924, Jean Sidobre dessine très tôt des foulards pour des boutiques huppées de la capitale et peint des ombrelles pour le marché indochinois, tout en poursuivant ses études aux Beaux-Arts parisiens. Après la Seconde guerre mondiale, il entame une carrière d’illustrateur, sous le pseudonyme de Sainclair, en collaborant aux journaux Marius, Ce Soir et Nous Deux.
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En 1949, il signe Sylvia ses premières bandes dessinées sentimentales pour le magazine féminin Éve. Dans Le Hérisson, en 1952, il réalise aussi une adaptation de « OSS 177 », la célèbre série d’espionnage de Jean Bruce. Ensuite, on le retrouve dans Hurrah ! et dans L’Intrépide des éditions Del Duca où, sous son vrai nom, il illustre divers récits complets et quelques séries policières mettant en scène, en 1959, l’agent de la C.I.A. « Jim Dynamic » (le premier épisode était paru, l’année précédente, dans le supplément Junior du quotidien Paris-Journal) ou encore le journaliste-détective « Steve Hollygan » (de 1958 à 1962), lequel termina sa carrière dans Télé Jeunes.
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Puis, on retrouve son style à l’américaine dans le magazine Mireille, où il anime, de 1959 à 1963, une nouvelle version du personnage vedette ; travaillant épisodiquement pour Vaillant (en 1965) ou pour le pocket Signe de Piste (en 1969)
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et illustrant des livres pour les éditions Le Trotteur, François Beauval, Dargaud ou Hachette. Pour ces dernières, il réalisera nombre de dessins d’intérieur et de couvertures pour les collections « La Bibliothèque verte » (« Le Clan des sept » ou « Alice »)
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et « La Bibliothèque rose » ; notamment les aventures du « Club des Cinq » d’Enid Blyton dont il offrira, de 1971 à 1979, des séquences de bandes dessinées reprenant, en regard, le texte d’une version française inédite due à Claude Voilier.
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Toujours en 1971, pour le mensuel éponyme de la S.F.P.I. qui finit par fusionner avec Lisette pour devenir Lisette et Caroline (de 1973 à 1974), il met également en images l’univers de « Mademoiselle Caroline » (d’après l’œuvre de Pierre Probst), sur des textes de Norbert Fersen et de Jean Cey(2).
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Un an plus tard, pour ce même éditeur, il réalise une autre adaptation en bande dessinée : celle de la série télévisée « Daktari », dans un fascicule de poche du même nom qui ne connut que dix numéros. De 1969 à 1977, il est également présent dans des magazines franco-anglais publiés en France ou en Grande Bretagne : Princess Tina (avec « Yum-Yum », en 1969) ou Patty (avec « L’Héritier de Roxcliffe », en 1976)…
Mais auparavant, Jean Sidobre va profiter de cette époque où les mœurs et le sexe vont se libérer, en tentant sa chance dans la bande dessinée érotique.
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Avec son trait souple et agréable, il en deviendra, en quelques années, l’un des meilleurs spécialistes, surtout grâce aux libertines aventures de « Liz & Beth », créées suite à l’insistance d’un ami médecin. Et c’est dans une obscure revue mensuelle (Multi, lancée fin 1975 par les éditions Multimagazine, après l’interdiction aux mineurs de Multicontacts, magazine qui l’avait précédé)(3) que ces dernières vont faire connaître bien des émois à leurs coquins de lecteurs
Multi

; ceci avant de trouver refuge dans diverses revues (dont Multi Love et Bédéadult‘) ou dans quelques albums chez Neptune, Ciel, Glénat, Dominique Leroy, Rombaldi ou Media 1000(4).
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Mais laissons l’érudit, spécialiste de la bande dessinée érotique, qu’est Bernard Joubert nous raconter cette « belle » histoire : « Il y a eu d’abord une revue érotique intitulée Multi : un petit format inspiré d’Union, avec des articles sur la sexualité, des photos, des petites annonces… À partir de son deuxième numéro, fin 1975, cette revue a accueilli une bande dessinée signée G. Lévis, sous la forme de petits chapitres ; Jean Sidobre ayant spécialement créé ses pages pour cette publication en feuilleton. À noter que pour cette première parution, la série n’était pas encore intitulée « Liz et Beth » mais « Multi Love », c’est ce qui apparaissait dans le bandeau titre, sur la première page.
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Ensuite, Jean Carton, jusqu’alors éditeur de romans et romans-photos pornographiques, va racheter la revue Multi (qui eut d’autres titres, Multimagazine, Multirelations…).
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C’est à partir de là qu’il va commencer à s’intéresser à la publication de bandes dessinées, regroupant d’abord les pages de G. Lévis dans une revue intitulée Multi Love, également de petit format, composée entièrement de BD, qui a eu quatre numéros. »
Ainsi, « Liz et Beth » y a été rééditée, en version « non censurée » (précisaient alors les publicités), au n°1 du quatrième trimestre 1977 (qui contenait les neuf premiers épisodes), au n°2 du premier trimestre 1978 (qui reprenait les épisodes 10 à 18 sous le titre « Les Aventures de Liz & Beth » ; la mention Multi Love n’apparaissant qu’en petits caractères) et au n°4 du deuxième trimestre 1978 (avec les épisodes 19 à 22).
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C’est d’ailleurs ce que confirme, dans une interview qu’il m’avait accordée et qui fût publiée dans le n°2 du fanzine Dommage en avril 1981, Antoine Occhipinti (scénariste qui signa la version soft du western érotique
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« Une nuit à White River » contenu dans le n°3 de cet éphémère trimestriel puis bimestriel(5)) : « Cette série dont on avait une quarantaine de pages d’avance a été réutilisée dès le n°1 de Bédéadult’, en février 1979 ; revue qui a été, pour nous, le démarrage de tout. Jean Carton s’est alors rendu compte qu’il y avait quelque chose de potentiellement commercial avec la BD… ». À noter que Carton, via les éditions Open, va aussi recycler les invendus de Bédéadult‘ contenant « Liz et Beth »(6), à quelques mois d’écart, dans Plagiat dont le rédacteur en chef était Michel Ivanoff, l’un des nombreux pseudonymes d’ Antoine Occhipinti.
Par la suite, G. Lévis persista dans le genre, sans jamais tomber dans la vulgarité, avec des adaptations publiées chez Dominique Leroy (puis chez Média 1000, en livres de poche, en 1988) : « Les Petites Filles modèles », en 1982, et « L’École des biches » (scénarisé par Joseph-Marie Lo Duca), en 1984.
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L’année suivante, on le retrouve dans Charlie Mensuel avec « Jelly Shawn : mémoires d’une entraîneuse »(7). Ensuite, il s’associe à Francis Leroi (ancien réalisateur de films pornos) sur « Les Perles de l’amour », qui bénéficiait d’une belle technique du lavis, en 1984,
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et « Dodo, 13 Ans », en 1986, dans L’Écho des Savanes nouvelle formule. Ceci avant de dessiner sa dernière œuvre : l’inachevé « Crimes et Délits »(8), sur un texte de Tony Hawkee (alias Antoine Occhipinti), pré-publiée dans l’éphémère magazine J’Ose que dirigeait ce dernier, en1988.
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Curieux destin que celui de ce dessinateur pour enfant, resté dans l’anonymat, qui parvint à s’imposer comme un petit maître de la bande dessinée érotique pour adultes, sous un nom d’emprunt, avant de décéder le 31 mars 1988, à Masnil-Saint-Denis dans les Yvelines.
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Mais revenons à Bédéadult‘, où Jean Carton reprend le feuilleton « Liz et Beth », en noir et blanc, remontant les pages pour qu’il y ait plus de cases par pages et pour palier à la suppression des bandeaux titre de « Multi Love », du n°1 au n°17, au n°19, du n°23 au n°32 et aux n°34 et 35 de 1982 : et il n’y a pas besoin d’être un grand esthète pour se rendre compte que le trait sensuel de G. Lévis, audacieux mais jamais choquant, est bien le seul à être digne d’intérêt ! D’ailleurs, bien d’autres dessinateurs s’inspireront de son style, à l’instar de ceux qui signeront W. G. Colber, Alan Davis ou Chris, par exemple…
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En effet, les autres bandes dessinées érotiques (les sexes n’étaient jamais visibles) au sommaire des trente-deux premiers numéros,
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avant que Bédéadult‘ ne devienne Bédé Adult’ en passant du soft au hard, à la fin de 1982, font bien pâle figure comparés à « Liz et Beth » : que ce soient « Steve Conrad » de Wolf et Tony Hawkee, les récits parodiques de Vladimir Pablo (souvent des reprises, datant de 1977, d’Eroscore, mensuel consacré à l’actualité des films pornographiques), « Jules et Marco » dans « Joop le Hollandais », bande également issue de Multi signée Carrière (Philippe Marin ?) et Tony Hawkee ou même « Aliza » de Paco Robledo Britto : adaptation d’un roman érotique d’André Dromer qui était déjà parue, en partie, dans le n°4 de Multi Love !
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En fait, pour que les choses s’arrangent un petit peu, il faut attendre l’arrivée de seconds couteaux au chômage qui s’étaient, pour la plupart, formés dans les petits formats, et que les responsables de Bédéadult‘
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vont contacter pour étoffer leur contenu : ainsi, recrutent-ils Bob Leguay qui signera aussi Al Cheyenne (« Duke White » scénarisé par Patrick Morin, encore un pseudo d’Occhipinti, dès le n°6 de 1980), Georges Potier (« Deux jumelles en or » au n°14 de 1981), Yves Groux (« Les Amants de Dieu » au n° 20 de la même année), Maxime Roubinet (avec « Tim et Gorg » où il se dissimulait sous le nom de Sam Max, au n°39 de 1983) et surtout Robert Hugues qui va utiliser les pseudonymes de Trebor (« Yolanda planète des perversions », dès le n°22 de 1981) puis de W. G. Colber (sur « Cléo », à partir du n°37 de 1982) ou de Mancini (sur « Célia 15 ans », à partir du n°67 de 1985) !
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En 1981, d’autres dessinateurs expérimentés, plus jeunes mais également sans emploi, comme Lionel Mako (« Marron » à partir du n°16) ou Jean Pailler vont aussi se joindre à eux ! Pailler signe d’abord Jo Cordès (« Casse-tête pour Mike Dupont » à partir du n°23, un scénario d’un certain Henef dissimulant certainement Henri Filippini), puis Alan Davis (« Billy and Betty » scénarisé par Manuel Lizay, à partir du n°40 de 1983). Ainsi Bédéadult‘ pourra commencer à intéresser les amateurs curieux de bandes dessinées(9) : il faut bien dire qu’à l’époque, ils n’étaient pas encore submergés par un flot incessant de nouveautés…
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Gilles RATIER, avec l’aide de Christophe Léchopier (dit « Bichop ») à la technique
(1) Pour en savoir plus sur la carrière de Jean Sidobre, n’hésitez pas à consulter les revues Spot BD n°8, Charlie (deuxième série) n°17 et 39, Pilote/Charlie n°11, J’Ose n°3 et 4, Hop ! n°43 et Le Collectionneur de Bandes Dessinées n°57/58 ou encore les ouvrages suivants : « Dictionnaire mondial de la BD » de Patrick Gaumer chez Larousse, « Dictionnaire encyclopédique des héros et auteurs de BD » et « Encyclopédie de la bande dessinée érotique » d’Henri Filippini chez Bordas et chez La Musardine.
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(2) Parallèlement, « Mademoiselle Caroline », toujours dessinée par Jean Sidobre, sera présente, en exclusivité, dans l’hebdomadaire féminin Femmes d’Aujourd’hui, avec « Le Chevalier Bel-Azur » : une aventure, toute en couleurs, de quarante-cinq planches publiées du n°1369 du 27 juillet 1971 au n°1414 du 7 juin 1972.
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(3) C’est un des nombreux renseignements que nous avons pu découvrir dans l’indispensable et conséquent « Dictionnaire des livres et journaux interdits » de Bernard Joubert, ouvrage publié aux éditions du Cercle de la Librairie, en juillet 2007, mais qui est, hélas, désormais épuisé : ce qui le rend d’autant plus précieux !
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(4) Les premiers épisodes de « Liz & Beth » ont d’abord été édités sous forme de quatre albums souples, approximativement entre 1980 et 1983, sous la dénomination des éditions Neptune puis Ciel (lesquelles cachaient, en fait, la société de Jean Carton qui fut aussi dénommée S.E.D.E.M., puis C.A.P., Loempia et enfin I.P.M. au décès de cet homme d’affaires niçois, en 1996). En 1983, alors que nos héroïnes de charme, pourtant en pleine action, ont déserté Bédé Adult’, l’éditrice Dominique Leroy en publie un album cartonné inédit en couleurs : « Les Nouvelles aventures de Liz et Beth ». Puis, de 1987 à 1989, l’ensemble des pages réalisées par Lévis sur cette série sera compilé, sous la houlette d’Henri Filippini, en quatre luxueux albums chez Glénat (dans la collection « Le Marquis »)
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, avant d’être proposé en livres de poche chez Média 1000, entre 1988 et 1991 ; et le dernier était intitulé « Vive l’ampleur ! », à l’instar de l’introduction de Romain Brethes dans l’édition présentée par Delcourt aujourd’hui ! Comme le précise d’ailleurs le journaliste à Chronic’art et à Beaux-Arts Magazine, le tome 4 de la collection « Le Marquis » ne fut pas achevé par Lévis mais par Xavier Musquera, lequel signait Chris dans BédéAdult‘, sur un scénario pas mieux crédité d’Henri Filippini. Toujours de manière anonyme, l’ancien responsable éditorial du groupe Glénat écrivit également le scénario d’un cinquième tome paru en 1994 (« Le Club des sens »), dessiné par Jean Pailler. Évidemment, comme il s’agit, pour cette nouvelle édition, d’une intégrale des pages de G. Lévis, notamment avec l’intégration des nombreuses planches manquantes dans les précédentes compilations, les pages réalisées par Musquera, Pailler et Filippini n’ont pas été retenues.
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(5) « Une nuit à White River » était dessinée par Luc Royer et Philippe Marin qui se dissimulaient, ici, sous le pseudonyme de Luke Sailor. La version soft fut également publiée dans Multirelations quelques mois avant (en mars 1978), alors que la version hard (avec des scènes de zoophilie) était diffusée parallèlement, sous forme d’une publication indépendante, dans tous les sex-shops de France et de Navarre. On peut voir des images d’« Une nuit à White River », comparant les versions soft et hard, dans un article sur la censure de la bande dessinée porno-zoophile que Bernard Joubert a écrit pour le collectif « Porno crade » paru récemment chez Maël Rannou.
(6) « Les Aventures de Liz & Beth » furent aussi re-publiées dans le magazine Les Secrets de la Vie Parisienne, à partir du n°21 de 1986. Cette revue hétéroclite, mélangeant photos piratées dans des magazines étrangers pornographiques (les sexes étaient masqués) et pseudo-articles ou petites annonces coquines, permis à son éditeur de relancer La Vie Parisienne Magazine qui fut l’un des derniers éditeurs des bandes dessinées issues de Bédé Adult’. Enfin, on peut aussi retrouver quelques pages des deux belles dames dans « Les Chefs-d’œuvre de la B. D. érotique » : une anthologie des maîtres du genre, classée par thèmes (humour, imaginaire, bizarre…) et publiée par Rombaldi sous forme d’albums cartonnés, entre 1987 et 1990.
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(7) Scénarisée par Michel Denni et Philippe Mellot (les D et M du « BDM » !), « Jelly Shawn : mémoires d’une entraîneuse » fut repris en album chez Aedena, en 1987, avant d’être réédité sous le titre « À corps perdu » chez Albin Michel, en 1990. Cet éditeur publia également, sous cette forme, en 1985, « Les Perles de l’amour » (encore disponible aujourd’hui chez Drugstore), puis « Dodo, 13 Ans », en 1987 ; rééditions en livres de poche, chez Média 1000, en 1988 et 1989.
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Notons enfin que Philippe Mellot scénarisa aussi quelques gags des « Fantasmes de Zoé » dessinés par G. Lévis, toujours pour la deuxième série de Charlie Mensuel, entre 1984 et 1985.
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(8) Cette histoire a été reprise et terminée par le Britannique Robin Ray qui signe Erich von Götha et un album en sera édité chez Yes Company, en 1988. Cette boîte avait été créée par Lionel Roc qui employait Antoine Occhipinti comme rédacteur en chef et directeur de collection ; pour l’anecdote, sachez que G. Lévis a donné le visage de Lionel Roc (son éditeur, donc) au personnage du narrateur de « Crimes et délits » (le monsieur à cheveux blancs qui est sur la couverture, au début, au milieu et à la fin de l’album).
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(9) Par la suite, le beaucoup plus hard Bédé Adult’ (ou les autres magazines lancés par Jean Carton comme Le Triangle Noir, Les Amours de l’Histoire, Bédé X, Sexbulles ou Love Comix) sera une source de revenus pour bon nombre de dessinateurs talentueux comme l’Espagnol Chris (Xavier Musquera), les Anglais Erich von Götha et Paula Meadows (Lynn Paula Russel), le Belge Jack Henry Hopper (Jacques Géron), les Français Peter Riverstone, Hugdebert (Guillaume Berteloot), Jacobsen (Jacques Lemonier), Gast (André Amouriq), Loïc Foxer, Alain Frétet, Michel Duveaux, Olson (Frédéric Garcia), Cronstadt (Pascal Somon), Jaap de Boer, Jacques Lerouge, Serge Mogère…, et même pour de grands noms comme Angelo Di Marco (sous le pseudonyme d’Arcor), Bernard Dufossé qui signait Hanz Kovacq, Pierre Dupuis et Georges Pichard (voir « Le Coin du patrimoine » que nous avons consacré à ce dernier.) !
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